jeudi 3 septembre 2015

L'Europe face à l'Islam

Convoquée en urgence après la chute de Ramadi et Palmyre, la conférence internationale sur l'Irak et la Syrie, organisée le 2 juin dernier à Paris, ne suffira pas à relever le défi posé par Daesh. Par défaut de diagnostic initial et refus d'une véritable solution politique. La chute de Palmyre, le 21 mai dernier, a soulevé une émotion considérable. La crainte étant que, tout à leur fureur iconoclaste, les jihadistes ne s'en prennent aux vestiges des civilisations préislamiques qui justifient l'inscription de cette cité au patrimoine de l'humanité. Critiquée pour sembler parfois plus sensible au sort des ruines qu'à celui des populations, l'Unesco a tenu à préciser, par la voix de son DG, Irina Bokova, "Notre objectif: non pas sauver de vieilles pierres mais les repères et les identités participant à la survie des peuples." Cette terrible défaite de l'armée régulière syrienne vient rappeler qu'en Syrie, "la guerre tue". Le mois de mai?2015 a même été le plus meurtrier depuis le début de l'année: 6657 morts, en majorité des soldats et des jihadistes, selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH) cité par Le Monde du 02/06/205. Au total, plus de 220 000 personnes auraient péri depuis le début du conflit, en mars? 2011. Pour autant, l'origine de la menace que constitue aujourd'hui l'Etat islamique est à rechercher de l'autre côté du désert de Syrie. Entre Tigre et Euphrate. L'Irak, "laboratoire du siècle"? Dans un supplément de la revue de géopolitique Conflits, titré "Terrorisme: Irak, l'origine de tout", Alain Bauer et Xavier Raufer estiment que le pays est "le laboratoire du siècle". Car la calamiteuse intervention américaine déclenchée en 2003 n'a pas seulement bouleversé la très instable géopolitique moyen-orientale. Elle a débouché sur une lourde défaite militaire de l'hyperpuissance, face à un ennemi hybride, qui n'a cessé de s'adapter et se fortifier. Au point de pouvoir aujourd'hui défier les principales armées régulières de la région. Le terme de "terrorisme" est donc potentiellement trompeur: c'est à une véritable "guerre révolutionnaire" que l'on assiste. C'est-à-dire, selon la doctrine maoïste qui en constitue la matrice, non pas une guérilla qui ne viserait qu'à harceler un Etat jusqu'à lui arracher des concessions politiques, mais une guerre totale visant à renverser cet Etat, à le remplacer par une nouvelle forme d'organisation. Par son inspiration et ses méthodes totalitaires, jusqu'à la terreur imposée aux populations, l'islamisme n'est-il pas en quelque sorte "le communisme du XXIe siècle"? La proclamation du Califat, le 29 juin 2014, est tout sauf anecdotique. Elle constitue une référence directe, et fortement mobilisatrice, à la tradition médiévale sunnite. A cet "âge d'or de l'islam" qui constitue l'horizon indépassable de l'idéologie salafiste, et dont le moteur est le jihadisme international. C'est de cette région comportant la Syrie et le nord de l'Irak qu'a surgi, au XIIe siècle, un guerrier originaire du Kurdistan appelé à devenir le héros de l'islam contre les croisés: Saladin. Le Califat promet ainsi explicitement de rendre aux musulmans leur puissance et leur fierté. L'Etat islamique participe d'un retour plus général de l'Histoire, du tragique, d'autant plus qu'il s'inscrit territorialement, pour durer. Son mot d'ordre n'est-il pas "Baqiya!", c'est-à-dire "pérennité"? Est-il réellement possible de combattre une telle résurgence identitaire et religieuse à coups de bombardements aériens? Risques et "voies de passage" pour l'Europe A n'en pas douter, l'émergence d'un "Etat de fait" en lieu et place des frontières héritées des accords Sykes-Picot de 1916 serait le signe du basculement définitif vers un monde nouveau: celui de la fin de la domination des puissances européennes, et plus largement "occidentales". Avec une responsabilité directe, écrasante, de Washington. Pour l'Europe, le risque est double. A ses frontières, celui de voir émerger un immense chaos du "Grand Moyen Orient" voulu par les Américains, avec en perspective Israël et son armement nucléaire en première ligne face au nouveau Califat islamique, potentiellement tenté de prendre son autonomie stratégique à l'égard des pétromonarchies du Golfe. Sur le sol des pays européens, le risque est celui d'une contagion terroriste. Moins en raison des jihadistes de retour du Levant, dont Xavier Raufer estime la dangerosité parfaitement maîtrisable. Mais des "instables, simplets et demi-fous recalés des divers fronts du jihad (Syrie-Irak, etc.) par des émirs craignant comme la peste ces agités, renvoyés à la maison pour y bricoler eux-mêmes leur petit jihad: les Merah, Nemmouche & co". Des individus dangereux du fait même de leur instabilité, donc, mais qui ne peuvent constituer à eux seuls une menace de dimension stratégique. "L'acte brutal et spontané d'un illuminé, si affreux qu'il soit, ne menace jamais un Etat solide dans ses fondements." C'est d'ailleurs pourquoi les Etats restent les acteurs géopolitiques incontournables -et finalement les plus rassurants- de la scène internationale. C'est aussi pourquoi une solution au défi posé par Daesh passe par les Etats impliqués. C'est-à-dire en l'espèce par Riyad, Doha et Ankara, puissances sunnites régulièrement soupçonnées de soutenir, armer et financer le terrorisme islamiste. Mais une solution qui passe aussi par Bagdad, bien sûr, ainsi que par Téhéran et... Damas. Tous les analystes s'accordent à considérer comme indispensable de renouer au plus vite le contact avec le régime syrien. D'ailleurs, Bachar al-Assad, et dans un moindre mesure Vladimir Poutine, sont-ils réellement moins fréquentables que Fidel Castro ou les émirs saoudiens et qataris ? La géopolitique nous suggère une approche réaliste, équilibrée, des relations internationales. Puissent nos gouvernants retrouver les voies de cette sagesse.